Edito des coordinateur-e-s du numéro spécial « Soins et consommation »

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Ce numéro dédié aux soins et à la consommation fait suite à la journée d’études ALCOR portant le même titre, et organisée le 1er juillet 2021 par l’Université de Lillle et l’Université de Saint Etienne. La notion de soins aurait pu englober des thématiques assez larges : soin matériel apporté aux objets, soin du corps, soin de soin, soin des autres, soins en santé… Mais les propositions reçues pour la journée, puis pour le numéro spécial, se sont centrées autour de problématiques liées à la vulnérabilité, à la précarité, au vieillissement, au cheminement identitaire et aux difficultés d’apporter du « soin » dans ces contextes .

Ces articles font en effet écho aux discussions académiques, médiatiques et politiques actuelles, évoquant la dégradation de la dimension humaniste des soins que nous souhaitons donner et recevoir (Fleury, 2019) et le manque de reconnaissance des acteurs impliqués dans cette relation aux soins. Ils montrent aussi la polysémie du terme de « soin », souvent ici abordé par le biais d’une autre notion, celle du care. Popularisé en philosophie éthique, le care est « une politique de l’ordinaire » qui concerne « une réalité ordinaire : le fait que des gens s’occupent des autres, s’en soucient et ainsi veillent au fonctionnement courant du monde » (Laugier, 2009). Le care a ainsi une portée large, même s’il est souvent utilisé pour refléter l’attention envers les personnes les plus vulnérables, délaissées, ou alerter sur le manque de reconnaissance envers les « donneurs » de soin, particulièrement les femmes sous-valorisées dans ce travail de soin. Pour Tronto (2008), le care est un enjeu politique, dans des sociétés où nous avons besoin de retrouver l’interdépendance universelle, et de reconnaître que chacun a besoin de l’autre même si ce besoin est souvent perçu de manière asymétrique. C’est bien la raison pour laquelle le care est doublement traduit en français par une éthique du soin et une éthique de la sollicitude, pouvant aller d’une simple attitude ou un sentiment à un véritable travail (Brugère, 2009).

Dans leur article, Samuel Guillemot et Margot Dyen explorent le contexte de l’EHPAD pour montrer les dimensions multiples du bien-être des résidents. Souvent cantonné à la médicalisation, le bien-être implique pourtant aussi la capacité à ressentir une sollicitude, un souci de l’autre, une bientraitance que les professionnels du soin ne sont pas toujours capables de mettre en place. Des contraintes organisationnelles, souvent décriées dans ces établissements, telles que le manque de moyens financiers ou humains ; ou encore des postures professionnelles privilégiant le curatif ou la sécurité des résidents freinent une vision englobante du bien-être. L’utilisation de la notion du care par les auteurs permet ainsi d’appréhender les nombreuses facettes, rendues possibles ou non, du soin aux personnes dépendantes.

Un autre type de vulnérabilité est abordé par Valérie Hémar-Nicolas, Ophélie Mugel et Margot Dyen, qui se penchent sur les stratégies en matière d’alimentation, développées par des familles en situation de précarité pendant la crise sanitaire Covid-19. Ces stratégies reposent particulièrement sur une attention de et pour les autres, puisque les réseaux d’entraide se développent de manière accrue pendant cette période. La bienveillance et l’entraide, au cœur de la logique du care, deviennent alors des ressources pour ces personnes en situation de vulnérabilité pourtant souvent décrites comme expérimentant une perte du lien social. Un véritable « écosystème du care » se crée alors, réunissant à la fois des acteurs individuels et des institutions publiques.

Enfin, une troisième contribution, celle de Elisabeth Eglem et Jean-Baptiste Welté, se consacre à l’étude de la notion de bien-être auprès d’une population de jeunes adultes, en phase d’intégration sociale. Basé sur des récits de vie, cet article permet de questionner la façon dont cette population se réapproprie cette norme selon ses intérêts et besoins. Il souligne notamment l’articulation du bien-être autour d’une dualité entre un temps biographique et un temps du quotidien.

 

Pour retrouver des contributions de la journée ALCOR : Philippe Sabot – Le soin et le sain, ou les deux sens de la vie – Journée Consommation et Soins

Pour aller plus loin sur ce thème, vous pouvez retrouver différentes contributions à l’ouvrage « Santé, consommation et marchés »